L’écrivain Ricardo Montserrat présente Eric Fernandez,
« Tiene angel, tiene duende, rabia, el diablo en el cuerpo, un dibbùk, un noséqué rayado. »
Il a de l’ange, il a l’esprit, la rage, le diable au corps, un mauvais génie, un je-ne-sais-quoi de rayé, de fêlé...
Il faudrait savoir l’espagnol pour parler de Fernandez tant lui collent à la peau les
mystérieuses expressions qui décrivent ces interprètes qui ont ce quelque chose qui enchante dès les premières notes.
Il faudrait aussi savoir parler arabe, berbère, hébreu,
tzigane, italien. Ne cessent de sourdre, telles des sources perdues, de
ses compositions des origines lointaines, aux parfums rares et
nostalgiques.
Fernandez n’aurait pu être qu’un virtuose de plus. Il
aurait pu se contenter de promener ses doigts prestissimes sur ses
guitares, se satisfaire d’accompagner les prodiges de la world music,
bonnet sur la tête d’éternel enfant sage et sourire attentif.
Mais Éric a dans le sang une colère froide, une fièvre,
un mal ardent, une peine d’amour au bord des larmes qui l’empêchent de
récolter tranquillement les lauriers de sa maestria.
Il a un corps tout en à-coups et ressacs, vagues
coléreuses qui se cognent sans cesse aux murs de l’indifférence, marées
sonores désireuses de briser les frontières qui séparent les hommes des
hommes, les hommes des femmes, de rompre le cercle de la fatalité.
Il a des mains qui n’en font qu’à leur guise. Elles
plongent si loin dans l’inconscient qu’elles retrouvent sans les avoir
cherchées les sons des pays que ses ancêtres gitans, voyageurs, bandits,
marchands, guerriers ou exilés, ont volés sur leur passage dans les
poches des musiciens locaux.
Et ça tape, ça frappe, ça cogne, et les pierres volent,
les coups partent, les cordes cinglent, les ongles saignent, les pieds
frappent le sol, et les écorchures, les piqûres, les morsures, les
engelures, les brûlures, les tortures.
Et ça danse, ça tourne, ça vire, ça frotte, ça sourit,
ça frémit, ça câline, ça devine, ça soupire, ça respire, ça caresse, ça
paresse, ma princesse, ma tendresse, ma maîtresse... jusqu’à ce que la
peine s’efface sous la joie. Oh, c’est déjà fini ? Tu t’en vas déjà ? Il
le faut ! Quelle misère ! Il a autant de doigts et de touchers que de
langues parlées, que de bouches baisées dans les pays traversés.
Il a des doigts, des doigts de mendiant, de
prestidigitateur, des doigts de violoniste rom et de mandoliniste
vénitien, des doigts bavards qui parlent aux gens à l’âme d’enfant,
séduisent les femmes qui aiment les hommes. Ses doigts font croire la
nuit que demain il fera jour, après- demain le grand amour, et dans un
an, l’éternel printemps. Ses doigts laissent croire au plus pauvre qu’il
a une âme immortelle.
Ses riffs réchauffent quand il mistrale. Ses arpèges
glacent quand il canicule et que plus rien ne bouge sur le toit
tranquille où passent des colombes ensanglantées. On voudrait ne pas le
croire mais tant de beauté, c’est déjà toute une histoire, on passerait
mille et une nuits à l’écouter, soudainement sûr de ne pas mourir au
matin. On ne se rend même pas compte que le temps s’est arrêté, c’était
en quelle année déjà ? Oh, je ne t’oublierai jamais... ont chanté avant
lui tant d’incendiaires dont il ne reste que cendres chaudes.
Ricardo Montserrat