La musique espagnole est essentiellement rythmique. Je dirais qu'elle est le rythme même. A la guitare, elle est pétillante, parfois violente, mais toujours rythmique. Elle " swingue ". Le rôle de la guitare dans le flamenco est mal compris dans nos " pays occidentaux ". La plupart en France (et ailleurs dans le monde) pensent la guitare flamenco en termes de soliste. C'est à dire qu'elle s'apparente à la guitare classique, en ce qu'il existe un répertoire flamenco soliste que l'on doit aborder avec les critères et mobiles qui dominent le monde de la musique classique : que la musicalité seulement " instrumentale " suffit à elle-même. En Espagne ce n'est pas le cas, parce que la guitare flamenco est avant tout un instrument d'accompagnement du chant et de la danse. C'est son rôle principal et le côté " soliste " n'est pour la majorité des gens que secondaire. En essence ceci veut dire qu'un bon guitariste flamenco est un artiste qui connaît parfaitement son " métier d'accompagnateur ". Ce n'est que par la suite que le détenteur du grain de génie pourrait sortir du lot pour être reconnu comme étant capable d'apporter du nouveau à l'édifice.
Le côté rythmique du flamenco est issu de la synthèse de trois choses : le chant, la danse, et la guitare. C'est un métier difficile, exigeant, où la " sélection naturelle " est sans états d'âme, où la compétition est plus que rude. En Espagne, gagner sa vie avec sa guitare implique d'être vraiment très doué, fort, et capable de durer. Les guitaristes de là-bas travaillent, ce qui veut dire qu'ils jouent sans arrêt : ils pensent, respirent, mangent, dorment " guitare ". C'est une manière de vivre. Les " flamencos " sont des personnes spéciales. Ils ont leurs coutumes, façons de parler, de regarder, manger, boire… Ils ont leurs lieux de rendez-vous, leur façon de voir le monde, leur coloration psychologique spéciale, unique. Je dirai qu'il faut être admis, faire partie du clan, de la bande. Le flamenco comporte aussi un côté mystique païen. On ne joue pas n'importe quoi à n'importe quel moment, n'importe comment. C'est délicat. Il faut choisir son entourage, tout le monde ne s'entend pas ; il faut " s'accorder " en quelque sorte…
Le flamenco est donc un art " très savant " et très vivant… qui se fait prévaloir uniquement dans l'action musicale (et sociale) vive. Cela veut aussi dire que dans le fond et en dehors de ce milieu très particulier, ce que l'on peut penser intellectuellement du flamenco - du point de vue culturel, musicologique, ou même sur les différents aspects de la technique instrumentale de la danse ou du chant - tout cela ne vaut vraiment pas grande chose tant que l'on n'est pas capable de démontrer ce que l'on pense et de quoi l'on parle.
Là-bas, en Andalousie, c'est d'emblée comme ça ! Il suffit de se frotter un petit peu au noyau professionnel (des gens de vocation) pour constater que ces artistes-là se moquent éperdument de tous ceux qui sont trop lourds de la tête, et en plus incapables d'allonger deux notes lumineuses l'une en face de l'autre. J'ai décidé d'inclure cette réflexion - qui peut paraître un peu dure, cassante, radicale - simplement parce que cela fait partie du noyaux véridique des choses de la culture flamenco. C'est un milieu assez sauvage… je dirai même " très sauvage ". Parce que les vraies gens du flamenco se défendent corps et âme contre toute forme d'intrusion qui n'adhère pas aux lois de l'art et aux lois non écrites du comportement artistique : ne sont admises dans la lumière culturelle et professionnelle que ceux qui passent avec succès les épreuves du noyau savant des pires. Sur le plan personnel tout dépend jusqu'où un individu est préparé à aller : veut-il(elle) passer les épreuves pour essayer d'aller loin, ou très loin, ou simplement un petit peu… c'est à dire, ne pas prendre trop de risques ?
Là-bas, le flamenco - le vrai, celui de la tradition du père et du fils, de la mère et de la fille - est presque une chasse gardée. Celui qui a assisté aux soirées en " peña flamenca " sait très bien de quoi je parle. En tout cas, l'étranger avide de flamenco n'entre pas dans ce monde-là comme dans le moulin du conservatoire…
Y viva la Musicaaa !!!!
Seb